Pour vous, lecteurs et lectrices de Stile Juve, Yoann Venturini (@Calabrese_Dante) a répondu à nos questions. Membre émérite de nombreux forum Juventini et fan inconditionnel de la Juventus, il est défend également corps et âme et avec brio la cause animale sur les réseaux et au-dehors. Un grand merci à lui d’avoir accepté cette belle et longue interview. Le programme vous le connaissez déjà : Représentativité, image et actualité de la Juventus.
Quand je vous dis « Juventus » qu’est ce qu’il vous vient à l’esprit ?
« Cela ne sera sans doute pas très original et même un peu réducteur vis à vis de l’histoire de cet immense club, mais je pense toujours à Del Piero quand j’entends “Juventus”. Il sera à jamais “le visage” de la Juve pour moi. »
Que représente la Juventus pour vous ?
« Beaucoup de choses, mais parmi celles-ci je soulignerais surtout les valeurs de travail, d’humilité ainsi que le sens du sacrifice. Des valeurs qui ont d’ailleurs largement dépassé le cadre du sport en ce qui me concerne, puisque ma passion pour la Juve m’a aussi permis de dépasser certaines épreuves de la vie. Ce sont aussi ces valeurs là qui ont grandement participé à ma passion viscérale pour ces couleurs.«
Quelle est votre meilleur et pire souvenir concernant la Juventus ?
« Pour le pire, je pense forcément au Drame du Heysel en 1985, cela dit je n’étais pas né et n’ai donc pas vécu ça directement. De fait, mon plus grand drame sportif en tant que Juventino, c’est la rétrocession en Serie B. Cette rétrocession me reste d’ailleurs particulièrement en travers de la gorge aujourd’hui, puisqu’après de nombreuses années de procédure pénale (qui découle directement de la “procédure sportive”), il est désormais clair que la Juventus n’a jamais usé d’un quelconque pouvoir pour altérer un match ou un championnat. Néanmoins, pour éviter de développer ce sujet particulièrement délicat et complexe, j’ajouterais que c’est cette injustice – qui aurait pu détruire le club – qui a crée l’impulsion nécessaire pour faire renaître de ses cendres l’institution bianconera dans ce qui la caractérise le plus: L’orgueil et le refus de baisser la tête.«
« Pour le meilleur, j’en ai forcément quelques uns et c’est plutôt difficile d’en choisir un. Cependant je pense pouvoir dire que mon plus beau souvenir de Juventino, c’est le premier Scudetto sous Conte. Parce qu’il était inattendu et que nous revenions de loin tout d’abord, mais surtout parce qu’il est la quintessence même de ce qu’est la Juventus. La représentation la plus pure de ce que l’histoire de ce club est capable de transmettre à des hommes sur une pelouse. Une saison entière où la Juventus n’aura pas perdu un seul match. Une saison durant laquelle l’envie de vaincre s’est conjuguée avec la volonté farouche et inébranlable de respecter l’histoire de ces couleurs. Rarement dans ma vie de tifoso j’ai pu assister à quelque chose d’aussi fort. De l’inauguration du Juventus Stadium jusqu’à l’envahissement de terrain à Cagliari pour fêter le Scudetto, tout respirait la Juventinità, l’envie de fièrement bomber le torse et de se relever après tant de désillusions. Oui, je pense que c’est mon souvenir le plus fort, le plus beau et le plus représentatif de ce qui m’a fait aimer ce club. »
Quelle est la Juventus (toutes époques) la plus impressionnante qu’il t’a été donné de voir jouer ?
« Je suis obligé d’en citer deux, car il m’est impossible de les dissocier : Celle de Lippi et celle de Conte. Voilà les deux Juve qui ont marqué ma mémoire. Ces deux Juve ont eu une histoire très différente, mais la finalité était la même sur le terrain: Ne jamais reculer et toujours se battre bec et ongles pour honorer les valeurs et l’histoire du club. Et Dieu sait que la Juve de Lippi était terrifiante, aussi bien sur le papier que sur le terrain. Paolo Montero sera toujours (pour moi) l’un des symboles de cette Juve là. Celle de Conte était très différente, car finalement composée essentiellement de joueurs modestes, mais qui ont tous su se transcender pour atteindre un objectif commun. Et c’est aussi ça la Juventus : le sens du sacrifice afin d’effacer l’égo personnel au profit de l’objectif commun. Les larmes de Pirlo dans les vestiaires après le Scudetto me resteront en mémoire, lui qui avait pourtant déjà tout gagné avant la Juve. »
Quel est le joueur (toutes époques) qui représente le plus la Juventus ?
« Je pense que la réponse sera toujours très influencée par le paramètre générationnel, mais en ce qui me concerne la réponse est (encore une fois) Del Piero. Pour tout ce qu’il représente, son parcours, son histoire, son caractère aussi. D’ailleurs j’ai un souvenir marquant lié à ce joueur, c’est son but contre Bari en 2001. Del Piero venait alors de perdre son père et il en était très affecté. Il n’arrivait plus à jouer, était souvent remplaçant et des voix commençaient à s’élever pour affirmer qu’il envisageait d’arrêter sa carrière. Et soudain, ce but, puis cette célébration empreinte de douleur et de libération. Jamais je n’oublierai ce but, qui représente la quintessence même de ce qu’il était lui, et de ce qu’est la Juventus.«
La Juventus représente quoi pour le football italien ? Européen ?
« Là aussi j’imagine que la réponse est influencé par le point de vue. Je suis Juventino, et je pense que la Juventus est ce qui se fait de mieux en Italie. Et je ne parle pas seulement du palmarès, mais aussi de la façon dont ce club est dirigé depuis des décennies. L’autorité de l’institution est telle qu’aucun joueur, quel qu’il soit, ne peut être au-dessus de ça. Chacun doit être au service de l’autre, et tous doivent être tournés vers l’objectif commun. Depuis 2011 c’est d’ailleurs ce qui a grandement participé à la renaissance de la Juve, puisque dés lors qu’elle fut privée de l’autorité absolue de cette toute-puissante institution (notamment entre 2007 et 2011), elle fut alors amputée de la base sur laquelle s’appuyaient tous ses succès. La Juve en Italie, c’est le club où des joueurs moyens sont capables de se transcender et se sacrifier, afin de valoriser des fuoriclasse légendaires. L’unique but étant de créer une synergie en parfait équilibre où l’objectif commun dépasse toute considération individuelle. »
« En ce qui concerne l’échelle Européenne, je pense qu’il manque à la Juve quelques finales gagnées pour que son aura soit au niveau de ce qu’elle mérite. Mais quiconque connaît le football sait que croiser le chemin de la Juve en coupe d’Europe, c’est l’obligation de se donner à fond pour espérer l’écarter, de se battre de toutes ses forces sur chaque ballon, pour chaque mètre parcouru sur le terrain. La réaction de Gary Neville devant les caméras (dans les années 90) lorsqu’il apprend que la Juventus est qualifiée (et donc un adversaire potentiel) est assez représentative de ce qu’évoque la Juventus dans l’esprit de ses adversaires. Les propos de Sir Alex Ferguson ou Ryan Giggs montrent aussi le point de référence qu’à été la Juve sur le plan international. Aujourd’hui, je pense que la Juventus représente cet étrange ersatz d’immense club qui effraye tout le monde tout en ayant une certaine réputation de loser qui lui colle à la peau. Mais les finales, il faut les atteindre pour les perdre, donc les moqueries à ce sujet ne m’ont jamais touché.«
Que pensez-vous des changements opérés par le club visant à faire de la Juventus une marque mondiale ? (nouveau logo, futur maillot domicile peut être sans rayure, maillot basket…)
« Je vais être honnête, je n’aime pas le nouveau logo ni même la direction que prend le club sur certains aspects. Pourtant, et c’est là le paradoxe, j’ai conscience que c’est indispensable pour combler le gap qui nous sépare des “très” grands clubs. La Juve fait tout pour se sortir du carcan italien, pourtant je trouve que c’est son plus grand atout que d’appartenir à ce championnat et ce pays, et ce malgré les défauts et retards structurels inhérents à l’Italie. Je suis un romantique amoureux d’un football d’une autre époque. J’ai du mal à faire cohabiter cette part de moi avec le football moderne et ce qu’il implique, mais je dois me faire une raison et accepter qu’il est impossible de se réjouir de la venue de joueurs comme Ronaldo si le club ne fait pas le nécessaire en parallèle pour “grandir” sur le plan économique. »
« J’ai par contre beaucoup plus de mal à pardonner certains écarts sur le logo ou le maillot, car c’est pour moi l’identité du club qu’on travestit sous couvert d’universalité. Ce logo est d’ailleurs très bien sur des vêtements, mais sur un maillot de foot ça manque cruellement d’aura, d’histoire. La volonté de rendre la Juve universelle est louable en soi, mais cela se fait au prix de certains éléments de notre identité et c’est quelque chose qui me déplaît fortement. Andrea Agnelli, dans la lignée des illustres prédécesseurs de cette grande famille, souhaite faire vivre et grandir la Juve en phase avec son temps, en étant systématiquement en avance sur les autres en Italie. C’est difficilement critiquable quand bien même on peut être en désaccord avec certaines prises de position ou décisions vis à vis de l’avenir du club. On continue de gagner, c’est sans doute la seule chose dont devrait se soucier un tifoso. Ou pas…«
La Juventus peut-elle remporter la Champions League ?
« Bien-sûr qu’elle le peut, elle le doit même ! Mais la Champion’s League est une compétition assez ingrate qui exige parfois un petit peu de chance. Je pense aussi que la Juve est légèrement handicapée par son habitude de jouer son championnat à fond et jusqu’au bout, ce qui impacte forcément sur la fraîcheur de l’effectif à long terme. Sans doute n’est-ce qu’une excuse, mais je pense qu’on sous-estime trop souvent les conséquences de cette “habitude historique” qui consiste à ne jamais dénigrer un Scudetto pour gagner une hypothétique coupe d’Europe. La Juve veut tout gagner, toujours. Et la domination en Italie, c’est l’histoire et le patrimoine du club. Il est possible que cette “obligation” soit parfois un frein sur le plan Européen. Certains Juventini échangeraient volontiers un Scudetto contre une victoire en Ligue des Champions, mais en ce qui me concerne j’ai conscience de l’importance et de la portée de chaque Scudetto gagné sur les terrains d’Italie. J’espère évidemment revoir la Juve championne d’Europe un jour, mais depuis 2006 je considère chaque Scudetto comme une victoire contre l’oubli.«
La Juventus peut-elle faire la passe de 10 scudetti ?
« Oui, parce que c’est son histoire qui l’exige. Tant que l’institution (et les tifosi) continuera de se souvenir que le Scudetto est l’élément structurel de base de la società, l’avenir sera brillant. Car tout part de là, toujours. Et les pauvres fous qui ont voulu détruire cela en 2006 n’ont fait que rendre encore plus féroce cette soif de revanche, envers et contre tous. Je prie pour que chaque personne qui compose ce club se souvienne chaque matin en se levant que la Juve ne meurt jamais, que cette rage de vaincre doit être aussi vivace contre le Napoli que contre le Chievo Verone. C’est comme ça que la Juve est devenue ce qu’elle est, en affrontant chaque rencontre comme si son avenir en dépendait, consciente que l’histoire s’écrit match après match.«
Qui est l’anti-Juve en Italie cette année ?
« Je n’aime pas ce terme. En faite je le trouve réducteur et insultant pour les autres équipes. Pourtant il est utilisé à outrance partout dans les médias en Italie. Une équipe ne devrait jamais se définir par son adversaire, c’est comme ça qu’on tombe dans le “provincialisme” et qu’on finit par oublier de mettre un pied devant l’autre par et pour soi-même. L’équipe la plus sérieuse depuis le retour au sommet de la Juve, c’est pour moi le Napoli. Bien que pour moi ce club reste handicapé par son “culte de la victimisation”, ça reste une équipe très sérieuse et surtout un club plutôt bien géré depuis son retour en Serie A. Quoi qu’on en dise, ce qu’arrive à faire le club depuis quelques années est fantastique. Si une équipe peut devenir championne d’Italie au détriment de la Juventus, c’est sans doute le Napoli. »