Mis au chaud dans la quasi ignorance lors de l’opération Tevez-Boca, Rodrigo Bentancur est en train de devenir, peu à peu, une pièce importante dans le dispositif de la Juventus. De l’ombre à la lumière le jeune uruguayen voit désormais deux routes se dresser devant lui : Une carrière éclaire à la Estigarribia ou une autre davantage voie royale en mode néo-Riquelme.
Tevez, Vadala, Cristaldo, Andres Cubas, Pavon et Bentancur sont sur un bateau…
Été 2015. L’apache Carlos Tevez s’en va et retourne dans son Argentine natale au Boca Juniors. Une mauvaise nouvelle pour la Juventus et ses tifosi mais en aucun cas un secret de polichinelle. Le numéro 10 des bianconeri l’avait maintes fois annoncé ; viendrait le temps où il quitterait le vieux continent pour revenir dans son club de cœur.
La vieille dame, elle, n’a qu’une parole quitte à parfois passer pour une amatrice en matière de transferts sortants. L’accord avait préalablement été scellé entre Tevez, Marotta et consorts et la Juventus cédera « Carlitos » pour des clopinettes tout en veillant à poser diverses réservations sur quelques jeunes pousses en devenir. Parmi elles, Vadala le « nouveau Messi », Andres Cubas, Franco Cristaldo, Pavon et Bentancur. Le premier fera bouchon de liège –Pschitt– avec la primavera. Les deux suivants resteront en Superliga Argentine. Le quatrième sort du lot mais n’a pas encore tenté le grand voyage vers le vieux continent. Enfin, en avril 2017 la Juventus annonce avoir déboursé 9.5 millions d’euros pour le jeune Rodrigo Bentancur. Décembre 2018, le jeune uruguayen, qui profite des mésaventures de ses coéquipiers Khedira et Can, enchaîne un 10ème match plein d’affilée en tant que titulaire pour 2 buts (toutes compétitions confondues). Destinée ?
Une progression graduelle mais encore beaucoup de « pain sur la planche »
Le jeu de Bentancur est dans la pure tradition des toreros latinos d’Amérique du Sud. Dur sur l’homme, et ce, malgré un corps de danseuse étoile, le numéro 30 de la Juve possède cette mentalité de guerrier indomptable propre aux farouches gauchos. Élégant balle aux pieds et tête à claque assumée quand il mastique son chewing-gum tel un lama des steppes en pleine partie, il semble déjà avoir une longue expérience du haut niveau tant il paraît serein sur le terrain. Une maturité incroyable face à la pression pour un joueur d’à peine 21 ans qui a pourtant encore une marge de progression impressionnante. En effet, reste désormais pour lui à gagner en maturité purement tactique et travailler sa capacité de concentration tout au long d’un match.
Prenons garde à ne pas lui brûler les ailes ou trop vite le mettre sur un piédestal beaucoup trop bancal pour ses frêles gambettes. Il faut savoir rester mesuré et ne pas « s’enflammer ». Certes, il y a cette forme d’aura et de quiétude qui se dégagent de lui mais il reste encore beaucoup de travail ; les statistiques le prouvent. Voici donc une comparaison sur divers points significatifs avec quelques-uns des meilleurs milieux (ou considérés à défaut comme tels) de la même génération que lui.
Dans la famille « potentiels futurs cracks » nous auront donc Ndombele (15 matchs avec l’OL), Renato Sanches (9 matchs avec le Bayern), Tielemans (14 matchs avec l’ASM), De Jong (12 matchs avec l’Ajax) et Ruben Neves (14 matchs avec Wolverhampton).
(Les résultats seront à interpréter dans l’ordre des joueurs indiqués ci-avant, par rapport à leur championnat propre et a leur nombre de présence sur le terrain respectif. « Notre » Bentancur avec ses 12 matchs fermera la marche en gras*).
Moyenne de passes/match : 54.4% / 29.6% / 44.7% / 78% / 57.6% / 42.9%
Taux de passes réussies/match : 88.8% / 91.4% / 78.7% / 91.2% / 84% / 88.3%
Moyenne dribbles/match : 1.7 / 1.6 / 0.8 / 1.4 / 0.4 / 0.1
Moyenne fautes subies/match : 2.4 / 1.2 / 1.6 / 1.2 / 0.6 / 0.5
Moyenne interceptions/match : 0.4 / 0.4 / 0.6 / 1.7 / 1.9 / 1.7
Moyenne tacles/match : 2 / 0.3 / 2.3 / 1.6 / 2.3 / 1.8
*Statistiques Whoscored.com
Appréciation du conseil de classe : Bentancur a un formidable potentiel à exploiter, c’est indéniable, mais attention toutefois à ne pas faire une « Iaquinta ». La patience et la mesure à son égard sont maîtres mots. Un malentendu est si vite arrivé…
Hype ou crack ? Quel avenir pour lui demain ?
Oui il est vrai, le maillot de la Juventus est lourd à porter mais en a-t-il vraiment conscience ? Est-ce que cela lui pèse véritablement ? On dit toujours que seuls les italiens de naissance connaissent la responsabilité d’un tel maillot. Pour autant, ce n’est pas vraiment une circonstance atténuante pour lui qui a en amont porté le maillot du grand Boca Juniors en Argentine et à seulement 19 ans. Quand certains de son âge commencent tout juste à l’US Grand-Quevilly on se dit que comme épreuve du feu c’est déjà pas mal !
Mais alors quid de son avenir ? Hype d’un moment à la manière d’un certain Vegedream ou véritable crack en puissance ? Pour répondre à ce questionnement nous avons demandé l’avis de spécialistes.
Pour ce faire, @Pad_foot9, scoot et analyste sur les profils de nombreux joueurs et @Bocaficion, franco-argentin fan du Boca Juniors et membre de @CanchaArgentina, compte français spécialisé sur le foot argentin, nous ont livré leur avis.
@Pad_foot9 : « Bentancur a connu une grande amélioration tactique au niveau des placements. Il a toujours eu ce côté créatif et sa complémentarité avec Pjanic est excellente. C’est un gros prospect en puissance. Il possède un gros volume de jeu. Dynamique sur ses appuis, il exerce un pressing haut. Très fort dans le domaine de l’anticipation, il possède une bonne science du placement. Rodrigo est capable de parcourir beaucoup de kilomètres pour combler les espaces laissés par Cancelo. Enfin, il coupe à merveille les trajectoires de passes et surgit en double rideau derrière son coéquipier pour récupérer le ballon si l’attaquant adverse réussit son dribble.«
Points forts de Bentancur ? « Techniquement, Rodrigo est à l’aise avec ses deux pieds et peut éliminer son adversaire en 1v1. Il possède un jeu long/court solide. Il alterne le rôle de créateur avec Pjanic par séquence. Joueur créatif à la passe, capacité à casser des lignes, tête levée, vision de jeu… «
Axe(s) de progression(s) ? « Sa gestion de la profondeur ; il doit s’améliorer au niveau de sa prise d’informations pour ne pas être dépassé. Aussi je constate un manque de vitesse latérale. Pour les ballons touchés, je trouve qu’il a tendance à « se regarder jouer » parfois et donc garder le ballon 3 à 5s de trop. Il s’éloigne (trop ?) de sa zone en phase défensive et peut encore repérer plus rapidement les espaces libres au milieu. Enfin il doit encore éviter les fautes « bêtes ».
@Bocaficion (sur son passage au Boca Juniors) : « Il y a eu très vite beaucoup de promesses autour de lui. On l’a tous vu comme un futur crack. Fin techniquement, vision du jeu, élégance, qualité de passe. Son principal défaut pour nous c’était le manque d’impact physique, et parfois même manque d’engagement. Quelques sautes de concentration également. Les supporters de Boca plaçaient beaucoup d’espoir en lui et ont été finalement un peu déçu car on a vu peu de prestations vraiment abouties et convaincantes sous le maillot de Boca.
On s’est souvent fait la réflexion en le voyant jouer à la Juve « Mais pourquoi ne mettait-il pas cet engagement à Boca ? » Je pense que ses sélections avec l’Uruguay ont eu un rôle prépondérant dans sa progression. Nous savions qu’il partirait dans un bon club européen, mais un peu surpris que cela soit dans un club du standing de la Juve compte tenu de ses prestations à Boca. Il reste un joueur auquel on est attaché à Boca, on espérait simplement qu’il explose un peu plus sous nos couleurs. »
Rodrigo Bentancur a le choix, et surtout, les moyens de ses ambitions. Lui qui déclarait il y a peu que la Juventus était favorite pour remporter l’édition actuelle de la Champions League, il voit là une occasion unique de briller au firmament. Entre amour et déchirement il peut n’y avoir qu’un pas. « (…) Mais quitte envers l’honneur et quitte envers mon père, c’est maintenant à toi que je viens satisfaire. » (passage du Cid pour ceux qui n’avaient toujours pas percuté le titre). La balle est donc dans le camp de Don…Rodrigo afin de faire de la Juventus sa Chimène.