A vouloir laisser un maximum de liberté à ses attaquants et tout miser sur la phase défensive, la méthode Allegri finit peut-être par montrer ses limites dans l’année où il était le plus attendu.
Le beau jeu et le victoire sont-ils si incompatibles ?
« Bien jouer dans le football, c’est simple. Mais il y a une différence entre gagner et conjuguer les deux choses. Il faut de l’équilibre. Bien jouer et gagner, cela semble proche mais ça ne l’est pas, c’est même éloigné. C’est comme faire 10 secondes ou 9,99 aux 100 mètres. A dix secondes, tu penses que tu es proche. Mais non parce que tout le monde fait 10 secondes, mais 9,99 il n’y en a qu’un qui le fait. Donc il y a une grosse différence. C’est pour cela qu’il faut mettre de côté ce qu’on a fait et travailler pour obtenir les résultats que nous espérons »
Allegri le 1er février 2019
Que le beau jeu ne soit pas une garantie de victoire, c’est une vérité bien connue. Sarri en a même fait une preuve de concept. Ces dernières années, les tifosi du Napoli se sont régalés comme jamais sans gagner un seul titre. Et entre le spectacle et la victoire, la Juventus, sûrement plus que n’importe quel autre club fera des succès sa priorité. Habitué de phrases cinglantes telles que « si vous voulez du spectacle, allez au cirque« , Allegri ne cesse d’opposer beau jeu et victoire. Il n’est tout de même pas fou d’imaginer qu’il sera toujours plus facile de gagner en jouant bien. A ses yeux, le football ne peut être un spectacle que pour ceux qui le regardent. Pour lui, c’est un travail. Mais dans le contexte actuel, cette opposition entre beau jeu et victoire au point d’en déduire qu’on ne peut avoir l’un sans l’autre relève de plus en plus d’un manque de conviction dans la nécessite de faire plus. Voire d’un alibi pour justifier une période difficile.
Mais pour comprendre la raisonnement du mister, il faut se pencher un peu plus sur sa conception du jeu et sa manière de travailler. On le sait, Allegri a comme priorité absolue l’équilibre de son équipe entre l’attaque et la défense, et en particulier son organisation sur les phases de non possession. Surtout à chaque fois que les choses se compliquent pour son équipe. On aurait tort de croire que Max Allegri n’a pas d’idées de jeu ou de concept en tête. En guise d’exemple, on peut se rappeler du 4-3-1-2 avec Vidal en rombo au du 4-2-3-1 offensif avec Mandzukic recyclé en ailier. A chaque fois qu’il a innové tactiquement, il a atteint la finale de la Ligue des Champions. Mais Allegri est surtout un gestionnaire et un pragmatique. Contrairement à Sarri ou Guardiola, il n’a pas construit sa carrière sur un style de jeu mais bien sur sa capacité à trouver le système idéal pour que chaque joueur s’exprime à son meilleur niveau. Sa plus grande force réside dans sa capacité à s’adapter au matériel à disposition d’une part et à son adversaire d’autre part. En particulier en cours de rencontre, quand il arrive à renverser des situations compliquées par ses changements en cours de jeu. Quant à sa perception de la phase offensive, c’est surtout pour lui une question de liberté.
Trop de liberté tue la liberté ?
« Le football ce n’est pas que tactique et schémas. Certains veulent faire passer le football pour de la science mais c’est n’importe quoi, il n’y a rien de scientifique là-dedans. C’est un spectacle, et le spectacle, ce sont les artistes qui le font. Ici on veut enlever la poésie du football, étouffer la créativité. C’est l’erreur la plus grande qu’on puisse faire. Si on enlève la poésie, alors autant jouer avec des ordinateurs. On peut passer des heures à parler de schémas et d’organisation mais à la fin ce sont les joueurs qui gagnent les matchs. Si tu as Messi, tu pars déjà à presque 2-0. Même chose avec Ronaldo. Notre travail à nous, les entraîneurs, c’est de donner une organisation, une identité, des indications. De mettre en place la phase défensive, surtout lorsque tu attaques beaucoup. Je ne néglige pas l’importance de l’entraîneur mais sa mission principale est de mettre les joueurs à l’aise. (…) Si les schémas suffisaient à gagner, pourquoi le Real Madrid aurait dépensé cent millions pour Bale qui, pour simplifier, dribble, tire et défonce le but ? Il faut savoir aller au-delà de la tactique ».
Allegri en 2014
S’il aime insister, avec un peu d’ironie, sur le fait que les modules ne servent à rien, c’est aussi parce qu’Allegri est un adapte du 4-3-Désordre. Il aime le chaos organisé, laisser une liberté de mouvement à ses joueurs offensifs et surtout les fuoriclasse capables de gagner les matchs à eux seuls. Il ne laisse ainsi aucun repère à ses adversaires pour s’adapter comme certains ont su contrer le jeu de Guardiola avec les années par exemple.
Max aussi n’était pas un grand joueur et sait que ceux qu’il dirige aujourd’hui sont bien meilleurs qu’il ne l’a jamais été. En ce sens, il considère donc qu’il n’a rien à leur enseigner mais qu’il doit simplement les mettre dans les meilleures conditions pour briller. Quitte à trop s’appuyer sur ses individualités. En allant même jusqu’à faire un parallèle avec le basket, un sport dans lequel en dépit de tous les schémas existants, tu finis toujours par donner le ballon à ton meilleur joueur pour faire la différence, expliquait-il après la victoire 3-2 contre l’Inter en mai dernier.
C’est aussi là une cause de l’impression de suffisance que son équipe peut dégager. Car la responsabilité de l’animation offensive repose davantage sur le génie des joueurs que sur leur habilité à exécuter un schéma de jeu huilé. Ainsi lorsque les joueurs les plus créatifs manquent ou qu’ils ont un passage à vide dans un match, c’est toute l’équipe qui en souffre. C’est un constat évident en ce moment, avec notre milieu incapable d’être productif en l’absence de Pjanic. Les joueurs n’ont pas de recette gagnante dans laquelle se réfugier pour se remettre en confiance. Ils sont forcés de constamment créer l’étincelle. Sur le long terme, cela peut être épuisant.
En conclusion…
Bien sûr, on ne va pas croire les déclarations d’Allegri à la lettre ni le prendre pour un idiot au point de ne donner aucune consigne à ces joueurs, même en phase offensive. Mais en se fiant autant à leur talent, il leur donne par la même occasion une responsabilité immense. Il pose un cadre mais n’ira pas chercher la victoire à leur place. Le modèle est glorieux, il suffit de voir le cap que la Juve a passé depuis son arrivée et malgré le départ de certains cadres. Mais il a aussi ses limites quand les protagonistes sur le terrain passent à côté de leur match. La méthode sera-t-elle suffisante pour aller jusqu’au bout en Ligue des Champions ? Réponse dans quelques semaines.