Absent depuis le début de la saison pratiquement, Giorgio Chiellini vit cette fin d’année sur la touche. Malgré cela, il a beaucoup de choses à dire et il s’est confié en exclusivité à la Gazzetta Dello Sport. 

Quels sont les délais de récupération ?
« Pas avant 2020, c’est sûr. Février, mars… Ca dépend. Quand on parle d’une blessure aussi sérieuse, on donne des estimations en fonction des moyennes de récupération physiologiques. Il y a tant d’étapes à franchir. C’est une bataille qu’on remporte jour après jour. Mais je travaille déjà plus et bien. Je combats la douleur avec le sourire ».

Quelle motivation psychologique faut-il ? Parce que tu as un âge auquel quelqu’un de ton niveau pourrait aussi baisser les bras.
« J’était vraiment heureux de ne vivre  ce malheur que maintenant. D’une certaine manière, je suis chanceux. Parce qu’à 35 ans, tu connais bien ton corps et tu es assez mûr pour comprendre et accepter un défi de la vie. Je m’en suis rendu compte le soir de la blessure, à part l’espoir que c’était seulement le ménisque et pas les croisés, j’ai tout de suite compris que c’était sérieux, qu’il aurait fallu du temps et de la volonté. Pour moi, ça a été plus dur de l’annoncer à la famille que de le vivre ».

Comment vois-tu ton avenir ?
« Quelques années. Pas plus ».

« Je ne me vois pas devenir entraîneur »

Et ensuite ?
« J’aimerais avoir une carrière de dirigeant. Avec beaucoup de calme parce que je pense que la plus grande erreur que nous autres, les joueurs, commettons à la fin de notre carrière, c’est de penser que nous sommes tout de suite prêts. Quand tu arrêtes, pour les plus chanceux, tu as entre 35 et 40 ans, tu penses tout savoir sur le football. Ensuite, tu entres dans le monde du travail et ceux qui ont ton âge ont au moins 15 ans d’expérience à un bon niveau. Et même à un échelon inférieur, tu rencontres des personnes qui ont dix ans de moins que toi mais 10 ans d’expérience en plus. Quand tu as un écart à compenser, tu dois en être humblement conscient. Tu as un savoir faire important d’un point de vue footballistique, mais il faut assembler les autres morceaux. C’est comme un puzzle. Il ne faut pas être pressé, c’est un pas à la fois, comme la rééducation ».

Tu ne veux pas devenir entraîneur ?
« Non. Mettre une équipe sur le terrain et l’entraîner une demi-heure, ça plairait à tout le monde. Mais ce n’est pas simple de rester hors du terrain, la vie d’entraîneur ne m’exalte pas. Désormais, un bon schéma tactique ne suffit plus. Les entraîneurs doivent être plus psychologues et se montrer leaders en termes de motivation. Ce ne sont plus des gestionnaires comme peut l’être un patron d’entreprise qui doit diriger 50 ou 60 personnes. C’est à tous les instants de la vie, il faut avoir la vocation, c’est sûr. Et puis il faut accepter la pression et les sacrifices en tout genre. Pour le moment, ce n’est pas le type de responsabilité que je suis prêt à assumer ».

« La Juventus est une famille »

La Juventus est-elle quelque chose de plus qu’une équipe de football ?
« Pour moi, c’est une famille. C’est la première chose que je dis à ceux qui arrivent ici : ‘Tu te sentiras chez toi’. Surtout avec la proximité de la famille Agnelli. Ce n’est pas commun, crois moi, que les hauts dirigeants soient sur le terrain tous les jours, pour les entraînements. Et pour ceux qui ne sont pas habitués, on peut le sentir comme une pression mais ici c’est vécu et donné comme de la proximité. Ici, il y a toujours une société qui est tous les jours avec nous pour nous aider dans ce que nous savons faire le mieux, sans qu’on ait à se soucier de quoique ce soit. Je t’assure : on sent le soutien dans toute la vie, même hors du terrain. Ici, on travaille énormément mais on ne manque de rien. Après, je comprends que certaines personnes aient l’envie, après des années, de changer et d’aller ailleurs. Ici, on dit ‘on ne s’en va pas de la Juve’. C’est plutôt elle qui t’envoie ailleurs. Ca vaut peut-être moins pour les étrangers, mais pour un italien quitter la Juventus est vraiment difficile. Parce que tu l’as dans la peau ».

A propos d’italiens, quand ce cycle de la Juventus a débuté, il y avait Buffon, Barzagli, Chiellini, Bonucci, Marchisio, Del Piero et tant d’autres… 
« Nous étions 14, 15 italiens ».

Maintenant vous êtes beaucoup moins nombreux. Le niveau s’est élevé ? 
« Le niveau s’est sûrement élevé. Si tu regardes les 25 et pas que les 11, c’est évident. Un des objectifs les plus importants que l’on s’impose chaque année, nous les ‘vieillards’, c’est de transformer ces 25 joueurs en un groupe. Un groupe multiethnique, multiculturel avec des âges différents parce que ça va de Gigi aux 20 ans de De Ligt. Il y a des gens qui ont grandi en Amérique du Sud mais aussi en France, en Italie, en Allemagne. Que des cultures différentes et il faut réussir à donner une direction commune mais en respectant les habitudes et les identités de chacun. Il faut créer de l’harmonie, un groupe. Être une équipe, mais pas seulement sur le terrain. Au final, les seuls matchs qu’on a failli perdre sont ceux durant lesquels quelque chose ne marchait pas chez nous. Et puis il y a toujours ce problème que parmi ces 25 joueurs, seuls 11 peuvent jouer. Et donc il faut créer un environnement dans lequel même ceux qui ne jouent pas transcendent les autres. Avec un groupe d’italiens, c’est plus facile. Dans la première Juve de Conte, c’était beaucoup plus simple et même sur les premières années d’Allegri. Les hiérarchies étaient plus définies. Récemment, j’ai fait la formation de la Juve qui ne joue pas. Je me suis dit, cette équipe ne gagnerait peut-être pas le titre mais elle se qualifierait pour la Ligue des Champions. Donc c’est normal que ceux qui restent sur la touche le vivent comme un problème. Il faut donc un respect réciproque, se sentir comme un groupe cohérent ».

A quel point compte l’entraîneur dans une équipe ? 
« Énormément, mais je pense que le plus important c’est le Président. Ensuite la direction, puis l’entraîneur et les joueurs. Les clubs qui réussissent le mieux sont stables, ils transmettent de la sécurité, ils investissent, résistent à l’hystérie de notre monde. Il n’existe pas de grande équipe sans une grande société derrière, dans le football moderne ».

Dans le vestiaire, quelle est la différence entre Allegri et Sarri ? 
« Le coach vit beaucoup avec les numéros, les schémas : Sarri va toujours vers le technique. Il est compétent et dévoué. ensuite, il cherche à motiver mais la partie la plus importante c’est toujours l’analyse scientifique de toutes les situations. Statistiques, données. Avec Max, plus le match approche et plus il te transmet des sensations. Les bases, il te les a déjà données, il te dit quelque chose sur deux ou trois situations, il ne te donne pas tant d’informations numériques mais il cherche à stimuler un peu plus les autres choses. Comme je l’ai dit, il n’y a pas une approche meilleure qu’une autre. L’empathie qui doit se créer entre l’entraîneur et l’équipe est fondamentale pour mettre en pratique ce qu’il veut. Ce que Sarri et Allegri ont en commun, c’est l’envie de gagner. La façon d’y parvenir est différente. Selon moi, la Juve réussira à gagner si elle arrive à tirer le meilleur de ces deux grands entraîneurs ».

« L’année dernière, on s’est un peu perdu » 

Tu penses que ce championnat sera différent des autres ? Qu’il y aura plus de concurrence ? 
« Déjà il y a deux ans, il y a eu un vrai championnat. L’année dernière, on était infernal. Nous avons gagné 24 des 26 premiers matchs, avec un mois de décembre incroyable dans lequel nous avions un cycle de 7 matchs, tous plus difficiles les uns que les autres. C’était peut-être l’une des meilleures périodes de la Juventus. Malheureusement, à partir de janvier, on s’est un peu perdu. Je suis convaincu que la Supercoupe de Gedda a chamboulé notre reprise. Je suis convaincu que si nous avions pu gérer un mois de janvier plus linéaire, comme les autres années, nous serions arrivés au printemps avec une meilleure condition ».

Que manque-t-il pour gagner la Ligue des Champions ? 
« Un peu de chance, sûrement. Mais il y autre chose qui nous a manqué : la capacité de gérer ces finales. Rappelons qu’en Ligue des Champions, il y a toujours 5-6 équipes qui sont au même niveau, très élevé. Il nous a toujours manqué très peu, dans les années où nos avons perdu des matchs de manière rocambolesque : le Bayern, l’Ajax, le Real. Trois fois, nous avons été éliminés de manière absurde. Celle que je regrette le plus, c’est contre l’Ajax parce que je suis convaincu que nous aurions eu la route dégagée pour la finale. Dans ce cycle incroyable de la Juve des dernières années, qui est rentrée dans l’histoire du football italien, il y aura toujours ce regret. Mais ce n’est pas fini… ».

Parlons de trois individualités. Commençons par Higuain. 
« Tu sais ce que j’ai pensé, en le connaissant bien ? C’est rare de trouver un numéro 9 aussi généreux. C’est clair, il vit pour le but mais trouver un 9 aussi différent par rapport à quand je l’affrontais a été surprenant. La personne Gonzalo m’a surpris. Cette année, il voulait rester à tout prix. Il l’a dit dès le premier jour. Je suis toujours resté proche de lui, en essayant de le motiver. Il a démontré sur le terrain qu’il voulait rester. Un de ses défauts est qu’il se torture un peu trop quand les choses ne vont pas bien. Mais nous sommes là pour le maintenir toujours vif. J’ai une excellente relation avec lui et je lui ai toujours tout dit en face. Quand j’ai quelque chose de bien à lui dire, je lui dis. Quand je dois le motiver, je le motive. Quand je dois le recadrer, je le fais et il l’accepte. Mais je le fais seulement par amour pour lui et la Juve ».

Ronaldo pourrait se la couler douce et pourtant il a toujours la faim d’un jeune…
« Il ne pourra jamais se la couler douce, il n’est pas fait comme ça. Il a des objectifs quotidiens trop importants, tout ce qu’il fait, il le fait avec une attention extrême et de la mesure. Pour moi, ça a été beau de le vivre à un âge aussi mature parce que même à 34 ans, quand il est arrivé, il y avait en moi l’envie d’en tirer quelque chose. Et lui est quelqu’un qui te donne beaucoup en préparation, dans certains matchs tu le vois différent des autres. Il n’y a rien de mal à le dire, c’est une multinationale humaine. Et donc il faut être bon pour le faire sentir dans l’équipe, même si c’est une ‘hyène’ entre guillemets. J’ai rencontré une personne qui a vécu cette aventure avec une grande envie de prouver. Au final, ses intérêts sont nos intérêts, ils coïncident parce que c’est un gagnant ».

En tant que capitaine, qu’est ce que tu dis à Dybala en ce moment ?
« Paulo est une personne très silencieuse, un garçon en or que nous avons vu grandir avec nous. Paulo, c’est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup mais qui agit, qui prouve sur le terrain. L’année dernière, on a parlé d’une mauvaise saison de Dybala. Mais ça dépend ce qu’on lui demande. Si Dybala joue buteur, il marquera 20 buts mais s’il joue milieu, il en mettra 5 et il n’y a rien de mal à cela. Il fait jouer l’équipe, c’est important dans de nombreuses situations. Selon moi, Paulo continue à progresser. C’est un joueur de niveau international, il l’a encore montré mardi. Lui aussi voulait rester ici. Il a eu l’occasion de partir mais c’est quelqu’un qui tient à faire le saut de qualité ici. Je ne serais pas surpris que Paulo fasse ce qu’ont fait Trezeguet, Camoranesi, Nedved, c’est à dire un parcours important dans l’histoire de la Juventus ».

Est-ce que tu joueras l’Euro ? 
« Oui, si tout se passe bien, j’y arriverai même frais. Mancini m’a appelé le soir où je me suis blessé et je lui ai dit : ‘Mister, je reviens au printemps, je fais juste un peu de rodage et comme ça j’arrive en juin frais comme une rose, en plus ce sera ma dernière compétition internationale…’. Être le capitaine de la Juve, de la Nazionale, avec 500 matchs en bianconero et 100 en Nazionale te donne une sérénité différente. J’aimerais profiter de cet Euro comme je profite de ces dernières superbes années en tant que joueur ».

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