«Je me suis cassé quatre fois le nez, du moins pour le moment». Ainsi commence l’interview que le guerrier Giorgio Chiellini a récemment accordée au Daily Mail. «Le problème, c’est que si la moindre occasion de marquer ou de stopper un adversaire se présente je ne peux pas m’arrêter». Et c’est effectivement sans retenue que le défenseur bianconero s’est livré. De la défense italienne actuelle à l’équipe nationale, en passant par ses projets personnels, Chiellini n’a de cesse de nous rappeler tout du long qu’il est un homme avant tout.
Et quel homme. En effet, Chiellini a récemment rejoint le mouvement crée par Juan Mata, Common Goal, qui appelle les footballeurs à faire don de 1% de leur salaire en faveur d’organisations aidant les enfants les plus défavorisés à travers le monde à avoir accès au sport. Une bien belle initiative même si Chiellini a eu quelques difficultés à s’y intégrer: «J’ai vu les interview de Juan Mata et j’ai aussi vu que Mats Hummels était inscrit. J’ai donc écrit sur leur site mais le responsable a cru que j’étais un adolescent de quinze ans qui se moquait d’eux. J’ai dû faire un appel vidéo pour prouver que j’étais vraiment Chiellini!».
Grâce à cette initiative, l’apport de Chiellini s’élève à près de 30 000 €. «Je ne sais pas si je peux changer les choses, mais que je veux simplement mettre un sourire sur le visage de ces enfants. Je ne peux pas exprimer ce que je ressens», explique le défenseur. «Nous sommes des idoles, c’est un rôle très important. Les enfants écoutent tout ce que nous disons et prêtent attention à ce que nous faisons. Je veux leur donner la possibilité de décider de ce que sera leur vie, sans que quelqu’un d’autre ne le fasse pour eux».
«Je sais que je suis chanceux, et je dois en profiter pour aider ceux qui en ont besoin. Je ne parle pas forcément d’argent, mais d’une vidéo, d’un message, d’une visite. Tout le monde peut faire ça. J’ai pas mal voyagé, et j’ai vu les pires endroits de l’Afrique du Sud et du Brésil. J’ai été en Thaïlande dans un hôtel cinq étoiles, et il suffisait de tourner au coin de la rue pour voir des gens qui dorment dehors, des gens très pauvres qui lavent leurs vêtements à l’eau de pluie»,continue-t-il, montrant ainsi que tous les footballeurs ne vivent pas dans une bulle. «Common Goal est un mouvement international et je suis le seul Italien pour le moment, j’espère que d’autres joueurs se joindront à nous».
Nous avons donc affaire avec un homme au grand cœur, loin de l’image du guerrier impitoyable qu’il montre sur le terrain. «J’ai une double personnalité», confirme le numéro 3 turinois. «Sur le terrain, je dois me montrer comme vous me voyez pour arriver au plus haut niveau. Je ne suis pas né avec beaucoup de qualités techniques, j’ai dû travailler et m’améliorer. Des centaines de joueurs ont du talent, mais peu sont vraiment prêts à travailler».
Il ne suffirait donc pas de naître talentueux, et Chiellini confirme que le travail est la clé du succès: «Je n’ai jamais été le meilleur de ma catégorie, j’étais considéré comme le vilain petit canard parce que je ne suis pas beau à voir jouer, mais je me suis toujours amélioré. C’est ma plus grande qualité. J’ai 34 ans mais je suis en train de vivre ma meilleure saison. Il n’y a pas de secret, il faut être passionné et travailler».
Travailler. Si Chiellini semble l’avoir tout de suite intégré, ce mot a pris tout son sens avec son ancien entraîneur à la Juventus et en équipe nationale, le vainqueur, le guerrier, l’exubérant Antonio Conte qui arrivait en conférence de presse la voix brisée à force de s’égosiller au bord du terrain. Et Chiellini confirme que la représentation que l’on se fait du personnage n’est pas faussée. «Conte, c’est la passion à l’italienne. Il n’est pas comme vous le connaissez seulement durant les matchs, mais aussi à chaque session d’entraînement».
Et travailler avec lui, au juste, comment ça se passe? «Quand on finit de s’entraîner, on est morts. Et on peut se permettre de se sacrifier comme ça parce qu’on croit en ce qu’il fait. Nous avons passé quarante jours ensemble en France et ça a été comme entrer dans un autre monde. Avec lui, on est à 100%. Il parvient à créer une atmosphère particulière dans laquelle chacun transmet de l’énergie à l’autre. C’est l’un des meilleurs entraîneurs qui existe».
Si lui avait su créer un vrai collectif, certainement le plus beau du dernier Euro, son successeur Ventura n’a malheureusement pas su continuer le travail. Chiellini et ses copains n’iront donc pas en Russie cette année, et pour le défenseur, c’est évidemment un vrai coup dur. «Honnêtement, ce sera comme un coup de poignard dans le ventre. Ce ne sera pas un mois facile. Je m’informerai sur les scores, mais je ne m’imagine pas assis devant la télé, regardant la Coupe du Monde à la maison».
Si l’entraîneur est pointé du doigt, il faut dire qu’il y a également un problème générationnel en Italie, en particulier dans le secteur défensif. Si l’on en croit Chiellini le coupable est tout trouvé: «Guardiola a ruiné la défense à l’italienne», explique-t-il. «C’est un entraîneur fantastique, doté d’un esprit fantastique mais les entraîneurs italiens ont essayé de l’imiter sans avoir les mêmes connaissances. Et c’est comme ça que ces dix dernières années, nous avons perdu notre identité».
«Toute la tradition des Maldini, Baresi, Cannavaro, Nesta, Bergomi, Gentile, Scirea s’est perdue. Nous n’avons, parmi ceux nés entre 1984 et 1995, que Bonucci. En dix ans, nous n’avons pas réussi à lancer un seul bon défenseur. J’espère que nous recommencerons dès maintenant, et que nous redonnerons une impulsion au football italien. L’élimination de la Coupe du Monde montre bien notre problème», déplore-t-il.
Si la tradition des grands défenseurs semble effectivement s’être perdue, il n’en reste pas moins que pendant quelques années, nous avons pu assister aux performances incroyables de la BBC que Chiellini a immanquablement évoqué: «Avec Bonucci, Barzagli et Buffon derrière nous, nous avions crée quelque chose de spécial. Ce n’est pas seulement technique, je parle plutôt d’une émotion, d’un sentiment».
Si Bonucci ne porte désormais plus les couleurs de la Vieille Dame, celle-ci a cependant réussi à retrouver une bonne assise défensive qui sera mise à l’épreuve ce mardi contre les très techniques attaquants de Tottenham.«J’aime bien les Belges de derrière, Vertonghen et Alderweireld», commente Chiellini. «Harry Kane est un joueur fantastique. Il a joué contre nous il y a trois ans, et il a beaucoup progressé. Il marque plus que Messi et ça, c’est très compliqué à faire».
Oui, la défense n’est plus ce qu’elle était. Mais les jeunes défenseurs prometteurs ont un modèle. Un modèle qui, à bientôt 34 ans, reste une référence, un pilier. Qui sait se montrer agressif lorsqu’il le faut, qui sait prendre les rênes un secteur défensif lorsque celui-ci semble ébranlé, qui se permet même des éclairs de génie en phase offensive, parfois. Chiellini est, sans aucun doute, l’un de ces grands défenseurs italiens qui ont marqué l’histoire du football. Et espérons qu’il sorte, comme à son habitude, son visage de combattant mardi contre les Anglais de Tottenham.