Dans une longue lettre écrite dans The Player’s Tribune le 18 janvier, Federico Bernardeschi se raconte et se livre à sa manière sur ses débuts dans le monde du football, sa carrière et sa personnalité. L’occasion d’en savoir plus et de mieux comprendre l’attaquant italien de la Juventus. Stile Juve vous l’a retranscrite intégralement.
«
La couleur blanche est un peu différente à Carrara, en Italie. La ville du marbre.
C’est sous ce nom que beaucoup la connaissent. C’est de là que je viens. C’est une zone célèbre à cause de ses magnifiques carrières, de marbre blanc de Carrara. La plupart du blanc que nous sommes habitués à voir provient de ces collines, creusées et façonnées par les hommes de notre ville. Mon père, comme beaucoup, travaillait pour une entreprise de marbre. Pendant de longues heures, très longues heures. Il devait se lever à 5h le matin et ne rentrait pas avant 18h le soir. C’est tout ce qu’il y avait à savoir et c’est tout ce que ma famille savait.
Il y avait tellement de marbre autour de nous, tellement de blanc, que celui-ci se glissait même dans mes rêves. J’avais cette image dans ma tête quand j’avais environ 6 ans. Je ne suis pas sûr que l’on puisse d’ailleurs parler d’une image, c’était plus comme une petite vidéo. Je la voyais parfois quand je m’endormais, ou juste en fermant mes yeux assez longtemps et je pensais à ça.
Je voyais ce long et noir tunnel. Au début il n’y avait pas de lumière, je pouvais juste dire que j’étais dans un tunnel. Ensuite, je voyais une ligne blanche. Peut-être que c’était du marbre, peut-être pas, mais cela n’avait pas d’importance. L’importance de la ligne c’était qu’elle pouvait éventuellement me guider hors du tunnel et que cela me mènerait où je voulais aller.
Quand j’étais jeune, je ne comprenais pas le sens de ce rêve, cela n’en avait pas. Je n’avais besoin d’aller nulle part.
J’adorais ma vie. J’avais une famille. Et j’avais mon football. C’est tout ce dont j’avais besoin depuis l’âge de 3 ans où mon père m’avait emmené dans cet énorme magasin de jouets du centre-ville.
J’ai fait deux pas à l’intérieur et j’ai couru tout droit vers un ballon de football, je l’ai pris et j’ai dit à mon père que nous devions partir. Il voulait que je regarde les autres jouets, mais je savais. Et parce que je savais ce que je voulais, je n’aurais laissé rien d’autre se mettre sur mon chemin. C’est mon caractère. Ou je devrais dire, c’est notre caractère. Si vous êtes de Carrara, vous êtes aussi dur que le marbre – demandez à Gigi Buffon. Marbre.
C’est comme ça qu’était ma famille. Ma mère travaillait en tant qu’infirmière dans un hôpital pas très loin de la maison. Elle était robuste mais tellement aimante. Elle pouvait changer de rôle entre sérieuse, infirmière professionnelle et douce maman juste comme ça, en un instant. Entre elle et mon père, il y avait un bon équilibre. Mon père me poussait toujours à faire mieux, à faire plus. Et quand on est enfant, parfois on pense que c’est trop, ou bien qu’il est en colère après vous. Mais en grandissant un peu, j’ai commencé à comprendre qu’il voulait plus de moi car il croyait en moi – il savait qu’un enfant qui refuse de jouer avec un autre jouet qu’un ballon de football, était plutôt bon.
Et je l’étais. Mais ma ville était petite et il n’y avait pas grand-chose en termes de bonnes équipes de jeunes autour. Alors, en tant que famille, nous avons pris une décision : à 8 ans, j’irais jouer à Ponzano, un des clubs juniors d’Empoli, à 110 km de là. Ma mère viendrait me chercher à l’école tous les jours à 15h15, 45 minutes avant la fin normale des cours. Elle me donnait un tupperware de pâtes chaudes. C’est ce qu’il y avait de meilleur. Ensuite elle me conduirait au sud en suivant la mer de Ligurie, dans notre Opel Vectra grise. Après 40 minutes donc, nous serions à Pise et ensuite on continuerait à l’est jusqu’à Empoli. Ce serait alors une autre demi-heure de route avant d’arriver. Je serais comme toujours un peu en retard. J’avais attaché mes chaussures dans la voiture et lorsque Maman s’arrêterait, je sauterais de la voiture et je courais jusque sur le terrain pour avoir ma session d’entraînement. Deux heures plus tard c’était la fin de l’entraînement et nous repartions comme nous étions venus. Je ne serais pas au lit avant 22h30 ou 23h. Je me levais ensuite à 8h le matin pour recommencer.
Nous avons fait ça 4 jours par semaine pendant des années.
C’était difficile mais ça en valait la peine car une fois que j’ai quitté Empoli, j’ai signé avec la Fiorentina, club de Florence juste un peu plus à l’est qu’Empoli, sur la même autoroute que ma mère et moi empruntions. Et elle est restée avec moi à chaque pas de mon aventure.
Encore plus dans les moments les plus difficiles.
Quand j’avais 16 ans, j’étais proche de rejoindre l’équipe senior de la Fiorentina. Je jouais un des meilleurs footballs de ma vie. Mais lors d’un contrôle physique de routine, l’équipe médicale a vu que quelque chose n’allait pas.
Quelques jours plus tard, je suis donc allé voir le docteur avec ma mère. J’ai passé des tests, des radios… Quelques minutes plus tard le docteur nous a briefé.
« Federico, on dirait qu’il y a un problème. »
J’ai pensé, j’ai 16 ans. Je suis dans la meilleure forme de ma vie, il ne peut pas y avoir de problème.
« Tu as une hypertrophie du cœur. On ne sait pas à quel point c’est grave mais il est possible que tu ne puisses pas continuer ta carrière dans le football. »
Possible ? Non… c’est impossible. Je ne pouvais pas le croire. Je refusais de l’entendre. Ma mère m’a permis de garder mon calme.
« Nous devons surveiller très attentivement pendant les prochaines semaines, » a déclaré le docteur. « En parallèle, tu ne pourras pas jouer au football pendant les 6 prochains mois. »
Je savais que j’étais à une étape critique dans le développement de ma carrière. Je ne pouvais pas me permettre de perdre autant de temps comme ça. Ma mère le savait aussi. C’était terrible, un jour terrible.
Je vivais seul à Florence, à 16 ans et je n’avais rien à faire. Mes parents devaient travailler à Carrara et ils venaient me voir quand ils pouvaient… mais même. J’ai essayé de me garder occupé mais c’était les 6 mois les plus difficiles de ma vie.
Le temps a passé, avec de nombreux checks-up, visites à des spécialistes et rendez-vous ; quelques régimes alimentaires et des médicaments à prendre, j’ai finalement surpassé le problème.
Quand tout fut revenu à la normale, je ne sais pas pourquoi mais j’ai repensé à l’image que j’avais vu. Vous savez, celle du tunnel. J’ai réalisé que la lumière, la ligne blanche, le marbre – peu importe ce que c’était – c’était moi, sur mon chemin, pendant mon voyage. Le tunnel c’était l’inconnu, les obstacles à venir, les batailles à mener. J’avais vu cette image pendant tellement d’années mais il m’a fallu cette longue épreuve pour me rendre compte de ce que cela signifiait réellement et pourquoi je la voyais dans mes rêves.
Quand on passe par une épreuve comme celle-ci, je pense que d’une certaine manière, il est impossible de ne pas en ressortir changé. Je suis beaucoup plus conscient de la fragilité de mon chemin dans la vie et de combien j’étais chanceux d’être dans la position où j’étais.
Alors quand j’ai atteint certains points clés comme mon début en Série A en 2014 et mon premier appel avec les Azzurri en 2016, j’ai ressenti que je pouvais me permettre d’apprécier plus ces moments que les gros que j’avais déjà pu avoir en étant plus jeune. Toutes ces choses ont pu arriver grâce à ma famille et l’aide des gens autour de moi.
Parmi les choses qui ont marqué mon passage à la Fiorentina, il y en a qui sont plus marquantes à mes yeux. En premier, Paulo Sousa, notre entraîneur à cette époque. Il m’avait fait asseoir et donné quelques conseils. Il m’avait dit que j’avais un talent incroyable et que je pouvais surpasser mes compétences mais il m’a dit que pour devenir un champion, il faut investir dans soi-même. Tout ce que tu fais, sur et en dehors du terrain, doit être orienté dans le but de gagner – c’est comme cela que les vrais grands joueurs arrivent où ils sont.
Je n’oublierai jamais cela.
La seconde chose, c’est à quel point je suis devenu proche avec notre capitaine, Davide Astori.
C’était un de ces hommes qui était né pour être un leader, vous voyez ? Chaque jour à l’entrainement il nous montrait le chemin à suivre. Au fur et à mesure que je vieillissais, il me prenait à part avant les sessions d’entraînement, on se passait le ballon pour s’échauffer et il me donnait quelques conseils par ci par là. Pendant les déplacements, on passait des nuits ensemble à regarder d’autres matchs ou des vieux films. C’était tellement une belle âme, tellement aimant et gentil. Même après que j’ai commencé à devenir un personnage récurrent du 11 de départ, je retournais souvent vers lui lorsque j’avais des baisses de moral ou de forme. A chaque but que je marquais, je recevais un email de la part du photographe de l’équipe avec une photo de ma célébration de but pour la poster sur les réseaux sociaux. Sur chaque photo vous pouvez voir que la première personne à venir dans mes bras était Davide.
Mon ami, notre capitaine.
Comme beaucoup le savent, il est décédé dans son sommeil en mars 2018.
Il avait 30 ans. Trente.
C’était un homme, et malgré tout juste l’enfant de quelqu’un.
Davide est mort d’une crise cardiaque. J’essaye de ne pas y penser mais souvent je pense à mes problèmes de cœur et à chaque fois, la mort de Davide est un rappel frappant : la vie est courte, le temps passe, et nous qui sommes vivants, sommes chanceux, vraiment.
J’ai souvent pensé à Davide lors de mon transfert à la Juventus à l’été 2017. Je regardais les vieilles vidéos de mes buts et je voyais Davide courir vers moi depuis le bout du terrain avec ses bras levés. Je lui ai parlé avant de partir. Il a compris. Mais ce n’était pas facile.
Quelques semaines après son décès, j’ai fait tatouer son numéro à côté de la prière de l’Ave Maria que j’ai sur le bras droit.
Maintenant, où que j’aille, il est avec moi, protégé pour toujours.
Je suis croyant. Je l’ai toujours été. Et une des choses à laquelle je crois c’est l’idée que cette vie que nous vivons, nous la traversons seulement, en chemin vers quelque chose de meilleur. Je crois en ça. Vraiment. Il y a une meilleure place, un lieu plus Saint, pour lequel nous sommes destinés. Et quand j’y arriverai, la première personne que je demanderai à voir ce sera Davide.
Mon ami, notre capitaine.
Tout ce que je vous ai raconté, cela fait partie de qui je suis et de qui je veux devenir.
Je suis incroyablement fier d’être à la Juventus maintenant. Ce club et la ville de Turin ne ressemblent à aucun autre endroit où j’ai été avant. Tous les clichés que chaque nouveau joueur de la Juve raconte à son arrivée à propos de la culture et de la gagne – tout est vrai ! Du coach aux kinés, au staff des cuisines… ils veulent tous juste gagner. C’est tout. C’est une obsession. Et c’est en moi désormais aussi.
Quand je vois les kits bianconeri maintenant, je pense au tunnel. Je pense au marbre. Le noir… le blanc… tout est là. Il m’a emmené jusque-là.
Et peu importe ce qui viendra ensuite, j’aurai eu ce dont j’avais besoin.
BERNARDESCHI
»
(Source : https://www.theplayerstribune.com/en-us/articles/federico-bernardeschi-juventus?fbclid=IwAR2i0JVNxT126uZJbhUvztkUTE2v7y1yPzL-Ng18XIUl7aNk0zI1k4L8WtA , traduit de l’anglais)