24 septembre 1958. Stadio Comunale, Turin. Nous ne sommes qu’à la 2e minute du match-aller des 16e de finale de la Coupe des Clubs champions européens et Omar Sívori plante déjà le premier de ses trois buts de la soirée face aux Autrichiens du Wiener Sport-Club, impuissants (score final: 3-1). El Cabezón (comprenez « le têtu », « l’entêté ») devient ainsi le premier joueur bianconero de l’Histoire à marquer en C1.
A quelques jours de fêter les soixante ans de ce premier but européen historique de la Vieille Dame, retour sur l’un des meilleurs attaquants que la Juventus ait pu compter en ses rangs et vraisemblablement, l’un des meilleurs footballeurs de tous les temps.

Omar Sivori /El Grafico #1833 – 24/09/1954

El Gran Zurdo

Les mots -dithyrambiques- choisis peuvent sembler poussifs ou exagérés, pourtant il suffit de regarder les nombreuses vidéos et autres « highlights » de l’oriundo disponibles sur la Toile, bien des décennies plus tard, pour comprendre qu’ils sont justes: malgré la piètre qualité de l’image, les terrains accidentés aux pelouses dégarnies, malgré un football qui ne ressemble que très peu au jeu actuel proposé, ce dribbleur de génie et buteur hors-pair à la patte gauche magique fascine autant en 2018 qu’il le faisait déjà en 1958: Il n’y a pas d’autre mot pour le qualifier, Omar Sívori est un surdoué.

Né le 2 octobre 1935 à San Nicolas de los Arroyos, non loin de Buenos Aires en Argentine, d’une famille italienne originaire de Lavagna en Ligurie, Omar Sívori est déjà un talentueux joueur de River Plate au destin très prometteur (il vient de remporter deux championnats consécutifs en 1955 et 1956 avec La Banda Roja) lorsque la Juve l’achète en 1957 pour la somme de 160 mille lires, un montant-record pour l’époque.
L’investissement s’avère très vite payant: Dès son premier match sous les couleurs bianconere le 8 septembre 1957 face à l’Hellas Verona, El Gran Zurdo (Le Grand Gaucher) marque le premier de ses quelques 174 buts en 259 matchs (toutes compétitions confondues) qu’il jouera pour la Vieille Dame.

Il Trio Magico

Au-delà de l’excellente opération que représente de manière individuelle ce joueur aux qualités techniques extraordinaires, c’est littéralement un coup de génie que la Juve vient de réaliser en associant le jeune Argentin à l’ineffable Giampiero Boniperti et au Gallois John Charles, lui aussi fraîchement débarqué à Turin. On ne tardera pas, d’ailleurs, à surnommer les trois compères Le Trio Magique, qui fera les grandes heures de la Vecchia Signora et du Calcio à l’aube des années soixante.
Durant le règne de ce Trio Magico qui s’étendra sur 4 ans, cette Sainte Trinité footballistique redonnera au club turinois ses lettres de noblesse en lui faisant remporter dès leur première année ensemble son 10e scudetto lors de la saison 1957-1958, synonyme de première étoile sur le maillot bianconero, ainsi que deux autres scudetti (1960 et 1961) et deux Coupes d’Italie (1959 et 1960). La Juventus est alors incontestablement le meilleur club italien du moment et bientôt, son petit protégé au pied gauche qui vaut de l’or, tout juste naturalisé italien, entrera au Panthéon des meilleurs joueurs du Monde.

Le Trio Magique: Sivori, Charles, Boniperti

De génie à Légende

Le 12 décembre 1961, au terme d’une année aux statistiques individuelles exceptionnelles, Omar Sívori remporte le Ballon d’Or avec 46 points, devant Luis Suárez (Inter Milan, 40 points) et Johnny Haynes (Fulham, 22 points). En ce temps-là, dominer le football italien, c’est dominer l’Europe, qu’importe les résultats de son club en compétition européenne. Et Omar Sívori ne s’en est une fois de plus pas privé, terminant pour la 4e fois consécutive meilleur buteur de Serie A (25 buts) au sein d’une Juventus à nouveau championne d’Italie. Une saison où il se sera permis, sans vergogne, d’infliger des séries de triplés à des adversaires qu’il adorait narguer, allant même jusqu’à planter un sextuplé face à une Inter estourbie et désarmée, lors de la dernière journée du championnat (score final: 9-1).
En décrochant LA récompense individuelle ultime du Football que tout joueur rêve, utopiquement ou non, d’obtenir, Sívori devient non seulement le premier joueur de la Juventus à remporter le Ballon d’Or, mais également le premier joueur de Serie A ainsi que le premier Italien à s’emparer de la prestigieuse distinction. Une légende était née.

El Cabezón

Omar Sívori fut rétroactivement surnommé le « Diego Maradona des sixties » et la comparaison n’est pas infondée, les deux Argentins partageant deux critères qui rendent souvent un joueur de football inoubliable: le génie balle au pied et le vice.
L’Italo-argentin était un sanguin, un caractériel râleur et chambreur, qui n’hésitait ni à provoquer les arbitres, ni les joueurs, ni même les tifosi du camp adverse. Ses frasques lui ont d’ailleurs valu d’être suspendu pas moins de 10 mois en l’espace de 7 ans. Son coup de sifflet final, le 1er décembre 1968, où il écopa de 6 matchs de suspension qui mirent un terme à sa carrière, se fit ironiquement face à « sa » Juve alors qu’il avait rejoint les rangs du Napoli 4 ans plus tôt, pour avoir asséné un coup de pied à la cheville du bianconero Erminio Favalli (et lui avoir jeté le ballon dessus alors que ce dernier était encore à terre avant de lui redonner un coup de pied quelques instants après…).

Mais résumer à ses seuls coups de sang un joueur aussi extraordinaire qu’Omar Sívori ne serait pas rendre justice à sa carrière immense et à son brio indubitable. Aussi préféré-je partager ici une belle anecdote glanée auprès de notre Bible du Football à tous, j’ai nommé Monsieur Didier Roustan, qui témoigne de l’importance et du respect que l’Italie accordait à Omar Sívori:
Saison 1984-1985, Didier Roustan se rend au San Paolo Stadium pour le match-choc Napoli-Juve (qui se soldera par un 0-0). Nous sommes à 20-25 minutes du coup d’envoi, le stade est bien évidemment bondé. Aucun joueur ne se trouve sur la pelouse et pourtant, le stade entier se lève alors tel un seul homme et entame une énorme standing ovation: c’était pour rendre hommage à Omar Sívori, qui venait d’arriver en tribune présidentielle afin d’assister à la rencontre des deux clubs italiens pour lesquels il a joué, et tous les tifosi présents au stade lui exprimaient, à leur manière, respect et reconnaissance.

Omar Sívori disait de la Juventus: « Ici il faut toujours lutter et quand tout semble perdu, y croire encore, la Juve ne se rend jamais. » A ce jeu, El Cabezón fut sans conteste l’un de nos plus valeureux soldats.

Photo Archive Historique Juventus/LaPresse
Années 60 Torino, Italia
Omar Sivori
"Qui bisogna lottare sempre e quando sembra che tutto sia perduto, crederci ancora, la Juve non si arrende mai." Omar Sívori

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