Un an après Zavarov, c’est un autre soviétique qui débarque à la Juventus : Sergey Aleinikov. Si le seul joueur biélorusse de l’histoire de la Juventus a certes laissé une impression en demi-teinte, il sera finalement regretté après son départ.
Un joueur chipé au Genoa
« C’est le Genoa qui m’a fait venir en Italie. A l’époque, le professeur Scoglio me voulait dans son équipe. Je suis arrivé à Gênes pour discuter du contrat. Alors que nous attendions les dirigeants pour conclure l’affaire, la Juve est intervenue. Et l’histoire a changé ». Aleinikov a-t-il commencé son aventure italienne par une trahison ? Pas vraiment. A son époque, les contrats des joueurs du Dinamo Minsk sont gérés par une société italo-russe basée à Padoue, la Simod. C’est elle qui l’a fait venir en Italie pour signer au Genoa et c’est aussi elle qui a ensuité géré les négociations avec la Juventus. Si les raisons de cette volte-face semblent aujourd’hui encore assez obscures, il semblerait que le Genoa n’ait pas négocié avec le bon interlocuteur et que les prix ont ensuite été revus à la hausse. Dans tous les cas, le joueur n’a pas eu son mot à dire : « Comme toutes les équipes dénominées Dinamo, le Dinamo Minsk dépendait du ministère de l’Intérieur et pour cette raison, tout devait passer par Moscou. Il n’y avait pas d’équipe professionnelle, et moi-meme j’étais un fonctionnaire du ministère. Ce sont eux qui ont tout décidé. Ils m’ont dit : demain le mercato s’arrête, signe ici. Et j’ai signé ».
On le surnommait « Alentikov »
Dans les jours précédents sa signature, un journaliste lui dessine sur son cahier un schéma pour lui montrer sa place au milieu : un rôle de regista, devant la défense. Le biélorusse ne parle pas italien et lui prend son stylo pour répondre. Il se déplace alors plus haut sur le terrain : « Moi aussi j’ai envie de buts, même si je n’en ai pas beaucoup marqué dans ma carrière ». À la Juventus, Aleinikov apporte de la polyvalence. C’est un joueur complet tactiquement, capable de jouer milieu défensif ou milieu offensif, un géomètre qui organise le jeu et qui est doté d’une excellente frappe. Il est présenté par Zoff comme un « joueur de grande classe » et un « grand champion ». Seul bémol, une certaine lenteur qui amènera les tifosi à le surnommer « Alentikov ».
Le jour de sa présentation, Aleinikov est très clair sur ses intentions : « Mon transfert à la Juventus n’est certainement pas un saut dans le vide. Mon attitude professionnelle ne changera pas : j’ai toujours tout donné et les tifosi peuvent rester tranquilles, je continuerai sur cette route. Je viens à Turin pour gagner et pour qu’on se rappelle de moi. Je ne veux pas passer inaperçu ».
Contrairement à Zavarov, Sergey Aleinikov ne connait pas de problème d’intégration : « C’est une question de caractère, déclare-t-il. Moi par exemple, je jouais avec l’équipe nationale depuis huit ans et j’avais eu l’occasion de voyager et de voir du pays. Nous étions souvent en retraite à Coverciano et j’avais eu l’occasion de connaître l’Italie. Pour cette raison, je n’ai pas eu de problème d’adaptation ».
Sifflé par les tifosi au bout de deux mois
Mais ses débuts ne sont pas glorieux. Alors qu’il avait montré des signes de bonne entente avec son coéquipier d’équipe nationale Zavarov en pré-saison, il démarre en sous-régime. La presse le définit alors comme « un joueur trop raide et sans idées ». Il accuse un gros déficit de forme physique et finit même par être sifflé par les tifosi, deux mois à peine après son arrivée. Ironie du sort : il marque en octobre 1989 le but de la victoire contre le Genoa, l’équipe pour laquelle il devait initialement signer.
Il faut attendre la seconde partie de saison pour voir le Soviétique briller enfin, une fois son transfert digéré. Zoff l’aligne tout le temps titulaire et Aleinikov confirme avec des prestations enfin convaincantes. Le joueur se distingue aussi en finale retour de la Coupe de l’UEFA. Alors que les bianconeri ont remporté le match aller 3-1 contre la Fiorentina, Dino Zoff est privé de solutions en défense : Bonetti est suspendu, Fortunato et Tricella sont absents. C’est donc Aleinikov qui est aligné derrière en libero. Un rôle qu’il avait déjà assuré en finale de l’Euro 88 face aux Pays-Bas de Van Basten qui finit par le faire céder. Cette fois contre la Viola, il assure et sauve même un but à la 69ème minute. Le match nul 0-0 permet à la Juventus de remporter la coupe européenne.
« Je n’aurais pas du le vendre »
En Italie Aleinikov est épanoui et se plaît à la Juventus. Il a déjà remporté deux trophées pour sa première saison : une Coppa Italia et une Coupe de l’UEFA. Sa relation avec Zoff est particulière. Les deux sont très amis. Mais quand l’ancien gardien devenu entraîneur est renvoyé et remplacé par Maifredi, les plans changent. Comme Zavarov, Aleinikov fait partie des joueurs écartés : « En réalité, ça s’est mal passé. J’avais signé un contrat de trois ans et j’ai ensuite appris que si la Juve ne me voulait plus, il y avait une clause dans laquelle elle n’avait qu’à payer une indemnité. Dans tous les cas, ce n’était pas mon intention de partir après deux trophées gagnés en un an. Pourquoi j’aurais voulu partir ? Mais même Zoff a été renvoyé après ce qu’il venait de faire. Je veux dire : tu gagnes deux coupes et tu vires presque tout le monde ? ».
Sergej est transféré sans même le savoir à Lecce, alors entraîné par l’ancien juventino Zbigniew Boniek. Là-encore, c’est le Simod qui gère les négociations sans même prévenir le joueur. Plus en avant dans le saison, Maifredi regrettera de s’être séparé dAleinikov : « J’ai trop misé sur Marocchi et Fortunato et je n’aurais pas du vendre Aleinikov, cela a appauvri le milieu ». Pas rancunier, Aleinikov définira son passage à la Juventus « comme un premier amour. Pour le meilleur et pour le pire, ça te reste dans le cœur à jamais ».