Un match retour à l’image de la saison : frustrant. Face à un OL épuisé en seconde période, la Juve n’a pas réussi à faire craquer la défense des Gones pour marquer le but de la qualification. Cette élimination hâtive marque un tournant pour la Juventus : Sarri est limogé moins d’un an après avoir débarqué à Turin. Place à l’ère Pirlo, nommé dans la foulée par Agnelli et Paratici.
Revers de la médaille
Ce huitième de finale retour de la Ligue des Champions sonne comme une morale pour la Juve : gagner ne suffit pas. La Juve a remporté la rencontre (2-1) face à Lyon mais la défaite de l’aller et le pénalty encaissé ont eu raison des bianconeri. N’est-ce pas finalement la suite logique d’une saison où la Juve, bien que championne d’Italie, semble affaiblie comme jamais elle ne l’a été ces neuf dernières saisons ?
Pourtant, la culture du résultat est omniprésente à la Juve : « Vincere non è importante, è l’unica cosa che conta. » Cette Juve du résultat, incarnée à merveille avec Allegri, était une machine à gagner, sans nécessairement briller dans le jeu. Mais la Juve pouvait au moins se satisfaire d’une organisation impeccable qui partait d’un bloc défensif solide, de milieux de terrain efficaces et effacés qui permettaient aux joueurs offensifs d’être créateurs et finisseurs. En somme, la Juve se reposait sur une tactique bien définie qui lui assurait non pas la maîtrise du jeu, mais la maîtrise de l’adversaire.
Avec Sarri, la Juve n’a eu ni le fond, ni la forme. Tout au long de la saison, l’équipe s’est cherchée, les joueurs ne se sont pas trouvés. Sur le terrain, les bianconeri n’ont jamais semblé comprendre les consignes du coach, et encore moins les ambitions tactiques de l’ancien napolitain.
Le scudetto a été remporté, certes. Mais avec un petit point d’avance seulement sur l’Inter et en perdant un nombre irraisonnable de points contre les concurrents directs, mais aussi contre des équipes du deuxième chapeau ; une première là aussi pour la Juve.
Au nom de la Lazio, de l’Atalanta et de l’Inter, Lyon a rendu la monnaie de sa pièce à la Juve : non il ne suffit pas de laisser Ronaldo faire le boulot de toute une équipe pour remporter un match, un championnat, une ligue des champions. Et pourtant, les hommes de Sarri auraient pu s’en sortir avec plus de lucidité dans les vingt dernières minutes pour aller chercher le but qualificatif du 3-1. Avec moins de courage et moins d’abnégation, Lyon aurait pu plonger encore un peu plus les Turinois dans l’illusion. En dépit d’un contenu sans âme et de carences individuelles criantes, le contentement -compréhensible- des supporters et l’aveuglement prolongé du board bianconero auraient assurément plongé la Juve dans une crise bien plus profonde s’il elle avait accédé au Final 8.
Sarri, l’erreur de casting
Il serait tellement plus simple de faire porter le chapeau de cette pâle saison au seul Sarri. La tentation est grande, mais Sarri ne peut pas être désigné comme l’unique coupable.
Sa nomination en début de saison a été une surprise. Agnelli était réticent à l’idée de faire signer Sarri, notamment à cause de son passé napolitain. Le Naples de Sarri a été l’ennemi juré de la Juve ces dernières saisons, et l’entraîneur des partonopei n’était pas le dernier en conférence de presse à mépriser, calomnier et insulter la Juventus. Les supporters n’ont pas eu le choix et ont fait fi de leur méfiance légitime envers Sarri, ce dernier dissimulant de façon peu glorieuse ces incohérences quand il fut confronté à ces propos d’alors sur la Vieille Dame. Mais au-delà de l’incompatibilité naturelle entre Sarri et sa nouvelle « famille », c’est l’incapacité à se faire comprendre par ses joueurs qui a rapidement émergé. Défense à sept joueurs sur certaines phases, contre-pressing énergivore et inefficace, ailiers introuvables, défense perméable, Ronaldo-dépendance… la liste des incohérences et des lacunes est longue. Jamais Sarri n’a réussi à imposer sa patte sur le jeu, et son autorité sur l’effectif. Le Sarri-ball, promesse de Londres, est resté à Turin au stade de légende urbaine.
Depuis son arrivée, le regard porté sur Sarri a évolué : de la méfiance à l’espoir, puis du scepticisme à la déception. En fait, Sarri n’a jamais gagné les cœurs des supporters… et ce n’est pas peu dire.
En Italie les entraîneurs épousent l’équipe et non l’inverse. À la Juve, cette particularité italienne est poussée à son paroxysme. Antonio Conte a redonné à la Juve sa « juventinità », une nouvelle jeunesse en quelque sorte ; Max Allegri l’a prolongée et renforcée.
Sarri, arrivé pour son style huilé et ses ambitions dans le jeu s’est cassé les dents sur ce qui fait, au fond, la Juve : la solidité défensive, la souplesse des transitions attaque-défense et les banderilles offensives de ses attaquants chirurgicaux (Del Piero, Vucinic, Tevez, Morata, Higuain, Ronaldo pour la chronologie). Ce triptyque a été brisé cette saison. La Juve n’a jamais semblé aussi faible derrière – ceci dû en grande partie à la blessure de Chiellini- ; aucun des milieux de terrain ne s’est démarqué cette saison, les uns marchant sur les pied des autres ; et devant, un duo Ronaldo-Dybala qui a tenu cette triste Juve à flot en éclipsant ainsi tous les autres joueurs à vocation offensive de cette équipe.
Sarri n’a pas su trouver la clef pour remédier à cette crise dans l’effectif et sa part de responsabilité est grande. Son futur à la Juve s’écrivait déjà en pointillé au vue de la saison en Serie A, celle-ci s’est achevée dans l’ombre après l’élimination en huitième.
Sarri a payé, donc. Mais il ne doit pas être le seul à faire les frais de cette saison si la Juve veut relever la tête.
Les carences individuelles
La saison 2019-2020 de la Juventus offre ainsi la possibilité aux dirigeants de prendre des décisions fortes concernant les cas individuels. Car si la Juventus a été aussi terne cette saison, c’est aussi à cause de la transparence de certains joueurs desquels il conviendrait de se séparer pour tourner la page.
Alors que la saison s’achève, le constat de la Ronaldo-dépendance de la Juve est partagée par toutes les bonnes âmes de la planète football. Entouré de la même manière la saison prochaine, le Portugais perdra tout espoir, à juste titre, de performance sportive. On ne peut pas demander à Ronaldo de marquer, de faire marquer et de se faire marquer (bien qu’il en soit capable). Ronaldo a débarqué à la Juve comme la cerise sur le gâteau, la dernière pièce de la machine Juve programmée pour aller chercher cette ligue des champions. Ronaldo est arrivé, il a tenu son rang, mais le reste s’est effondré comme un château de cartes.
Dybala, qui a couru dans le vide toute la saison pour pallier aux carences de ses coéquipiers d’attaque, s’est épuisé sans pouvoir faire profiter pleinement la Juve de son talent hors-norme.
Higuaìn, sans faire offense à ce qu’il a apporté aux Bianconeri par le passé, n’a plus le niveau pour jouer à la Juve, même sur le banc. C’était flagrant vendredi soir contre Lyon.
Douglas Costa, éternel abonné à l’infirmerie traverse les saisons comme un fantôme. À l’heure où la Juve navigue en eaux troubles côté finance, conserver des joueurs au salaire onéreux tel que le Brésilien paraît en dehors de toute forme de réalité. C’est également le cas pour Ramsey, transféré gratuitement mais grassement payé par la Juve pour un retour sur investissement proche du néant.
Les performances de Pjanic inexistant depuis l’officialisation de son transfert au barça ; de Matuidi qui a eu beaucoup plus de mal cette saison notamment à cause de Sarri qui ne l’a jamais considéré comme un vrai titulaire ; de Danilo qui peut servir de dépannage en cas de blessure mais qui n’a pas le calibre d’un titulaire ; d’Alex Sandro qui a réalisé des performances très timides éclipsé par Ronaldo dans son couloir ; de Bernardeschi qui, malgré sa bonne volonté, n’a jamais pris la mesure de son transfert à la Juve… là aussi la liste est non-exhaustive.
Le licenciement de Sarri ne suffira pas à relancer la Juve : Agnelli et Paratici doivent s’attacher à une refonte en profondeur d’un effectif au bout de ses forces. Du sang neuf, et surtout des départs doivent intervenir cet été, sans quoi la stagnation de la Juventus est inévitable.
La surprise du chef : Andrea Pirlo
Quand la décision est tombée aux alentours de 20h hier soir, l’euphorie a vite pris le pas sur la surprise chez tous les tifosi de la Juve, et plus globalement chez tous les fans du ballon rond qui ne peuvent que se réjouir du retour au bord du pré d’une des légendes du foot.
Signée Agnelli, cette initiative semble marquer là encore un nouveau virage : retour au local.
Le board de la Juventus a décidé de se tourner vers un des adoptés de la Casa Juve, censé avoir rejoint le club pour entraîner les U23.
Plutôt que de faire le choix de l’exotisme, Agnelli a pris le parti du Made in Juve. Mais ce choix comporte son lot d’inconnus : les ambitions tactiques d’Andrea Pirlo et son adaptation au haut niveau notamment. Expérimenté sur le terrain, l’ancienne légende du Milan et de la Juventus est un néophyte sur le banc : il n’a tout bonnement jamais entraîné une équipe de football.
Si Agnelli a décidé de tenter l’aventure avec le Maestro, il en revient aux supporters de se ranger derrière ce choix qui, objectivement, attise la curiosité et l’intérêt de chacun pour la saison prochaine. Pirlo à la Juve, c’est un risque pour la Vieille Dame, qui se lance dans une aventure palpitante mais incertaine. Pirlo ou pas, la Juve se doit d’avoir des résultats.
Mais c’est aussi un risque pour Pirlo, que de lancer sa carrière d’entraîneur à la Juventus : un flop hâtif entacherait déjà grandement son nouveau projet.
Pour que la Vieille Dame retrouve une harmonie la saison prochaine, il faut laisser les clefs du camion au nouveau coach : gestion de l’effectif, tactique, transfert… Ce n’est qu’ainsi qu’Andrea Pirlo, l’ancien regista se transformera en chef d’orchestre, pour faire de la Juventus sa nouvelle symphonie.
Bravo pour cet article
Très bon résumé et analyse de cette saison et une belle vision pour la prochaine !
Excellent article, très bien écrit, qui reflète bien les carences de la Juventus 2019-2020 qui se doit de débuter un nouveau cycle sous les ordres d’Andrea Pirlo. Les attentes des tifosi seront énormes et la Juve ne doit pas décevoir. Comme il est ici bien détaillé, le mercato va avoir un grande importance pour les bianconeri, aussi bien au sens des arrivées que des départs.
Merci pour l’écriture d’un article aussi intéressant que pertinent, bravo.
Article absolument brillant. Très belle analyse sous-tendue par une connaissance indubitable du club turinois et du football de manière générale.
L’article parvient à conjuguer une description factuelle pertinente d’une situation délicate et actuelle du côté de la Juve et une interprétation sensée et argumentée par un rapport à l’histoire du club, quand bien même celle-ci aurait été abordée en fonction de la dernière décennie.
Chapeau à son auteur, mes amitiés.