Rarement un entraîneur n’a autant divisé que Massimiliano Allegri. Mais à l’heure où les attaques personnelles se mulitplient contre les entraîneurs toscans, le blogueur italien Davide Terruzzi propose une analyse rationnelle de la situation pour répondre à la question que tout le monde pose : doit-on garder Allegri ?
Non. Je ne parlerai pas du clash à la télé entre Adani et Allegri. Franchement je ne vois en cela qu’une arme de distraction, un bazar de fin de championnat. En revanche le fait que l’avis, voire les convictions et les jugements d’un consultant soient utilisés par une partie des tifosi bianconeri dans leur croisade anti-Allegri me marque beaucoup plus. J’ai presque l’impression de me retrouver face à un campagne politique avec des arguments détournés par différents partis sur les réseaux sociaux.
Je pense, sincèrement, qu’Allegri doit être profondément respecté et mérite un grand merci pour ce qu’il a fait ces cinq dernières années. Un groupe de supporters qui en arrive à insulter un des personnages les plus importants de cette époque doit se poser de grosses questions sur sa condition. J’ai parfois l’impression que le mythe des tifosi juventini meilleurs que les autres est bien terminé.
Allegri a même été insulté après la défaite contre le Real, à Cardiff. Pour trop de personnes, le seul critère de jugement est devenu la Ligue des Champions, et plus précisément la victoire de la Ligue des Champions. Une maudite obsession presque morbide pour les tifosi juventini alors qu’il s’agit simplement d’un objectif à la fois compliqué et fascinant. Les tifosi des autres équipes, qui depuis des années ne peuvent se réjouir que de nos échecs, se moquent justement de nous pour cette obsession. Mais cela ne doit pas être le seul critère de jugement : si nous devions juger n’importe quel entraîneur de l’histoire juventina sur les finales gagnées, nous arriverions au paradoxe d’insulter l’un des plus grands, Marcello Lippi, parce qu’il a perdu trois fois alors qu’il entraînait l’équipe la plus forte.
Comment juger le travail d’Allegri ?
La critique du travail d’Allegri doit se baser uniquement sur l’analyse objective de la réalité du terrain, sans a priori basé sur ses convictions personnelles. Il n’y a pas UNE bonne façon de jouer au football ; il y a différentes propositions de jeu qui, si elles s’expriment de la meilleure des manières, peuvent mener à la victoire. Le cycle de trois ans qui s’achève sur la finale de Cardiff représente la meilleure période d’Allegri avec la Juve. L’entraîneur toscan, nous le savons, aime s’adapter en fonction des caractéristiques des adversaires, miser sur la gestion de l’effectif et la capacité de saisir les bons moments. Dans ces trois années, honnêtement, nous avons vu des chefs d’oeuvre, des matchs joués exaltant la proposition de jeu d’Allegri. Il marque même la saison 2016-17 de son empreinte : au cours de l’année, après un mercato remarquable de la part de Marotta, l’entraîneur bianconero a su analyser les difficultés tactiques et techniques de son système de jeu et d’un style qui ne correspondait pas forcément aux caractéristiques de ses joueurs. Vous-souvenez vous du tournant de la saison en janvier contre la Lazio ? Allegri, avec courage et lucidité, vire soudainement vers un football technique, basé sur la possession, plus offensif et adapté aux qualités des différents Dani Alves, Alex Sandro, Pjanic, Cuadrado, Dybala. Cela a fonctionné avec une leçon au match aller et retour contre le Barça. Mais lentement, il revient à une idée du football majoritairement conservative, incarnée par le retour de la BBC et Cuadrado utilisé comme joker.
Allegri, et c’est là sa principale responsabilité, n’a pas été en mesure de trouver un cadre pour la Juventus de ces deux dernières années. Le mercato de l’été 2017 représente un alibi parfait parce qu’on lui a confié une équipe affaiblie avec pas mal d’énigmes techniques et tactiques. Le mercato suivant en revanche a été l’un des meilleurs de l’histoire de la Juventus et met entre ses mains un des effectifs les plus forts et complets d’Europe. La plus grande faute d’Allegri a été d’avoir forcé l’équipe et les joueurs à aller dans une direction qui ne se marie pas avec leurs caractéristiques. Cette Juventus aurait du jouer comme elle l’a fait en automne, parce que les joueurs à disposition sont plus adaptés à un jeu technique, basé sur la possession et dévoué à l’attaque. Allegri a préféré revenir en arrière, en suivant ses propres idées et le résultat a été celui d’une équipe qui a mal joué et n’a pas eu d’organisation convaincante, avec ou sans la balle. Il n’a pas su trouver une solution aux difficultés qu’on trouve souvent en Europe : pressing haut, rythmes élevés et proposition de jeu offensive. Allegri n’a pas trouvé ce fameux cadre et il n’a pas été en mesure de bien faire jouer l’équipe. En plus la préparation n’a pas été à la hauteur, et ce n’est pas seulement une question de blessures, avec une équipe qui aurait du être au meilleur de sa forme au printemps mais qui en réalité s’est retrouvée limitée et en manque de rythme.
Le changement c’est maintenant ?
C’est pour ces raisons que je pense que c’est le moment de changer de direction technique. La Juventus ne peut certes plus se permettre de faire des expériences ou des sauts dans le vide. Mais je considère que certains sous-estiment la force et la qualité de l’effectif bianconero. D’autres sur-estiment les difficultés de notre championnat. Le match contre l’Inter, mal joué par une Juventus pendant plus d’une mi-temps en claquettes, est la preuve la plus efficace du gouffre entre l’équipe qui domine depuis huit ans et ceux qui espèrent suivre son rythme. Notre championnat comporte des difficultés, mais un entraîneur compétent, avec un effectif supérieur et une institution comme la Juventus à ses côtés est destiné à gagner. Le Barça le fait avec Valverde qui n’était pas passé par des grandes équipes.
Un entraîneur capable de proposer un jeu compatible avec les caractéristiques des joueurs et capable de supporter la pression. Parce qu’être à la Juve implique de lutter pour gagner, d’avoir chaque jour en tête un seul objectif et de suer pour la victoire. C’est ce que signifie « gagner est le seule chose qui compte », ce n’est pas jouer un type de football spécifique mais avoir cet esprit et ces caractéristiques qui te font gagner. Les candidats ne sont pas nombreux et sont ceux dont on parle (j’en vois quatre personnellement que j’aimerais voir ou revoir : Guardiola, Klopp, Pochettino et Conte). Chacun a ses forces et ses faiblesses. Clairement, Pep serait le nom le plus apprécié aussi pour une question de marque. La Juventus change d’image, elle a le joueur le plus médiatique et le plus célèbre du monde, l’arrivée d’un entraîneur avec une aura de gourou et l’étiquette d’un des meilleurs au monde irait dans cette direction et l’aiderait.
Et si Allegri devait rester ?
Pour le moment c’est le choix le plus probable, si l’on s’en tient aux déclarations publiques en tout cas. Ce ne serait clairement pas un drame ni un abandon de la Ligue des Champions comme objectif (seuls ceux qui poursuivent une croisade contre la personne peuvent le croire), mais je pense qu’il est quand même nécessaire de mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes. En privé, Allegri doit admettre qu’il a commis des erreurs, et je me réfère surtout à la préparation athlétique. Il doit être capable de construire un effectif avec les joueurs les plus adaptés à son jeu, et au moins une proposition de jeu similaire à celle du début de saison ou de l’hiver/printemps 2017. Il doit montrer une capacité d’adaptation et de changement qui va au-delà de ses convictions personnelles.
Quelle version d’Allegri ? Celles des premières années. Et donc des joueurs qui ont de l’énergie et de la qualité au milieu du terrain, bons pour changer de rythme et très bons dans la défense en position. Parce que si le football est simple en termes de résultat, il est beaucoup moins banal et évident qu’on ne le croit. L’organisation et la main de l’entraîneur se voient, surtout dans les moments de difficultés. C’est là que les certitudes t’aident, sinon tu risques le crash. Comme comme contre l’Ajax.
Article original : Allegri, la crociata, la critica, gli errori, il grazie e il futuro